Organisation : Aitec, Ateliers travail et démocratie, Atelier pour la refondation du service public hospitalier, CGT, Institut de Recherche FSU, Solidaires
9h30-12h : le travail dans la crise sanitaire
A partir de témoignages de syndicalistes, de salarié.es, de travailleur.ses indépendant.es : quelles leçons tirer des expériences et des résistances menées pendant l’épidémie, comment peuvent-elles éclairer les voies d’une reprise en main du travail par les travailleur.ses ?
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Michèle Rault (Solidaires), Benoît Martin (CGT), Julien Lusson (Ateliers Travail et Démocratie), Bernard Bouché (Solidaires)...
L’atelier a commencé par un débat mouvant organisé autour de l’affirmation suivante : « le chaos de la crise nous a ouvert des espaces d’autonomie au travail et révélé des possibles ». La trentaine de participant.es s’est répartie en deux groupes d’importance à peu près semblable : les « pour », les « contre », plus quelques indécis.es. Appelé.es à justifier leur positionnement en alternant un « pour », un « contre » et un indécis, les participant.es ont rapporté des fragments significatifs de leur expérience durant la crise Covid.
Les témoignages ont montré l’extrême diversité de ces expériences, y compris au sein d’une même profession. Ainsi, un universitaire a vécu une expérience de débrouille individuelle très éprouvante, sans soutien collectif, tandis qu’un autre universitaire faisait état d’initiatives d’auto-organisation des collègues via des outils électroniques. Un salarié d’une association décrit l’émergence d’une réaction collective contre l’autoritarisme de la direction, source possible d’une action collective à venir, tandis qu’une salariée d’un service social évoque un sentiment d’inutilité et d’abandon suite à la fermeture autoritaire de la structure par la direction alors que les besoins des usagers étaient plus criants encore que d’habitude. Un syndicaliste relate une initiative de transformation du travail syndical (création d’un numéro vert pour assister juridiquement les salarié.es pendant l’épidémie, avec l’aide de nombreux militant.es en chômage partiel), qui a pu répondre à des centaines de demandes ; un autre syndicaliste évoque les très grandes difficultés du travail syndical à distance, la vie collective réduite à peu de choses, le fonctionnement des instances représentatives (CSE...) tournant à vide en visioconférence... (autres exemples ?)
Il ressort notamment du débat que « l’autonomie au travail » évoquée dans l’affirmation initiale a pu prendre la forme d’une autonomie atomisée et dénuée de moyens, ce qui est de fait un isolement des salarié-es qui ont bien du mal à se débrouiller dans ces situations, ou d’une autonomie « équipée » (avec les moyens adéquats) et solidaire. L’autonomie sans le collectif est une dégradation du travail. Le télétravail a été peu évoqué dans les expériences relatées lors du débat mouvant, mais la discussion « assise » qui a suivi a bien mis en évidence, là encore, la diversité des situations selon la vivacité des collectifs. Dans beaucoup de cas, l’isolement prévaut, mais un syndicaliste a relaté le cas d’une grande entreprise de services informatiques où les ingénieurs ont mis en place des outils de coordination informelle, ont piraté une réunion de CSE en visio, en faisant irruption à plusieurs centaines dans la réunion, ce qui a planté le réseau et interrompu la réunion. Le travail syndical, les liens collectifs ont toutefois été extrêmement compliqués notamment du fait de réunions d’instances imposées par les Directions en visio... La division sexuelle du travail domestique a sans doute été accentuée par le télétravail, un intervenant évoquant par exemple des conflits familiaux pour l’accès à l’ordinateur.
L’enquête statistique de la Dares (TraCov) confirme cette grande diversité de situations, mais aussi l’importance non négligeable de la prise d’autonomie et du regain de collectif malgré (ou à cause d’) une forte intensification du travail ; ce que F. Dupuy a qualifié de « désobéissance organisationnelle » a marqué un certain nombre de situations de travail durant les confinements, de façon certes temporaire, et sans qu’il soit possible d’en prédire les effets à terme.
14h-16h30 : Travail, écologie et luttes au temps de l’épidémie
Comment les luttes environnementales et les luttes du travail peuvent-elles se rencontrer dans cette nouvelle période ? Comment penser une révolution écologique du travail ? Nous aborderons ces questions à partir d’exemples concrets : l’agriculture en France, le travail des livreurs.ses, les luttes en cours suite aux catastrophes de Lubrizol et de Notre-Dame, la lutte des ouvrier.e.s de la Chapelle Darblay...
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Annie Thébaud-Mony (association Henri Pézerat), Thomas Coutrot (Ateliers Travail et Démocratie), Gérald Le Corre (CGT, collectif unitaire Lubrizol)...
L’idée initiale était d’avoir un débat mouvant à partir de la phrase « mener le débat sur ses conséquences écologiques nous permet de reprendre la main sur notre travail ». Là encore les participant.es se sont réparti.es en 3 groupes équivalents. Cependant, la plus faible assistance (15 personnes) et l’effet du déjeuner nous ont incité à rester assis pour la discussion...
Les « contre » ont relaté un certain nombre d’expériences où le souci de préserver l’emploi aboutit à un déni de la part des travailleur.ses concernant les conséquences écologiques de leur travail. Ainsi les ouvrier.e.s d’une usine de fabrication d’un pesticide (biphenyl ?) interdit dans l’UE mais exporté au Brésil, refusent de se poser la question (« de toute façon, si ce n’est pas nous qui le fabriquons, ce sera les Chinois »). L’affaire Triskalia a montré la force d’une alliance entre syndicats (notamment Solidaires), ONG et scientifiques, mais les salarié.es de l’usine et leurs syndicats sont restés hostiles à la mobilisation, tout comme ceux de Lubrizol. Le mouvement climat lutte contre les grands projets inutiles mais les ouvriers du BTP ont besoin de travailler. Les dockers CGT du Havre ont démontré la nocivité de l’ouverture des containers mais ne vont pas au bout de leurs revendications de crainte de la concurrence d’autres ports. Même quand les syndicalistes s’emparent de l’argument écologique (comme à la Chapelle-Darblay), cela peut être davantage un argument tactique pour faciliter la recherche d’un repreneur qu’un levier pour développer des alliances de lutte ; on peut en arriver à fermer les yeux sur les conséquences sociales et écologiques de l’implantation d’Amazon (à la Chapelle-Darblay) à cause des emplois induits.
Par ailleurs, Véolia peut investir des millions dans les énergies renouvelables et construire des parcs d’éoliennes, cela ne donne en rien du pouvoir à ses salarié.es pour contester leur exploitation et leurs conditions de travail : le capitalisme vert n’est pas moins capitaliste. Il n’y a pas de lien évident entre la finalité écologique du travail et le pouvoir d’agir des travailleur.ses. Pour l’un des « contre », plus que la question de l’environnement, qui peut diviser les travailleur.ses, c’est la question de la santé au travail qui est le levier principal pour contester le monopole patronal sur l’organisation du travail.
A cela les « pour » ont opposé d’autres expériences, comme celle de l’usine Eternit d’Albi, où à partir d’une lutte de défense de la santé (contre la production d’amiante), les ouvriers ont pu reprendre la main sur leur travail en développant une intense activité autour du CHSCT. Les éboueurs lyonnais ont mené une grève contre la manipulation imposée de produits radioactifs ou amiantés présents dans les poubelles. Le collectif contre le plomb à Notre-Dame-de-Paris mène une lutte où 30 organisations syndicales et associatives défendent ensemble santé au travail et santé environnementale, en exigeant une cartographie des expositions, un suivi de la plombémie des travailleurs et des riverains, l’interdiction du réemploi de plomb dans la reconstruction de la cathédrale. Les ouvrier.e.s de Total à Grandpuits contestent le greenwashing de leur direction et s’allient avec les associations écolos dans Plus jamais ça.
A Grandpuits, des associations de riverains contestent le projet syndical de reconversion dans le recyclage des plastiques, par crainte des nuisances liées aux camions. Mais selon la CGT, elles ne prennent pas assez en compte l’impact positif de la préservation des emplois sur la vie des villages environnants. D’où la nécessité de lieux d’information et de délibération entre les parties concernées par les projets, pour créer des compromis dynamiques et des alliances pérennes.
Au final la discussion a surtout opposé une lecture « descriptive » de l’affirmation initiale à une lecture « normative » : tout le monde est d’accord pour dire qu’il est très difficile de soulever la chape de plomb du chantage à l’emploi pour poser les questions écologiques, et que ça ne suffit pas nécessairement à reprendre la main. Mais on s’accorde aussi à dire que s’emparer de la question des finalités du travail, de ses impacts sur la santé des travailleurs et du monde, est un levier majeur pour passer des alliances et reconsidérer le travail comme une réalité sensible et concrète qui affecte son environnement humain et naturel, un enjeu de pouvoir et de démocratie, pas seulement un mauvais moment à passer avant la paie de fin de mois.