14 octobre 2020
1re séance sur le travail dans les formations syndicales – L’approche de la CGT (présentation Tony Fraquelli)
La formation dure 2,5 jours suivis d’une journée sur l’égalité femmes-hommes, puis AT/MP puis droit du travail. Ce n’est pas une formation purement confédérale, mais organisée avec plusieurs FD, syndicats, unions. Donc on cale d’un bloc les 2,5 jours sans les autres demi-journées. D’un point de vue logistique, c’est pareil. Il y a d’autres structures où on peut faire des formations avec un grand nombre de participants : nous on ne dépasse pas 12 militants. Quand on a fait plus, ça coinçait.
Du point de vue des profils de militants, c’est très hétérogène. Pas de prérequis réellement. Seule expérience demandée, celle du travail. En fait, dans ce cadre là ce n’est pas tout à fait le cas quand on fait la formation pour d’autres structures. Par exemple, un stagiaire, Dominique Fichten, qui est là aujourd’hui, dans la formation où il était présent, il y avait de jeunes syndiqués présents en tant que stagiaires, alors que lui est dirigeant de son syndicat.
On passe pas mal de temps à la présentation des stagiaires : sur leur parcours, leur métier et pourquoi ils sont là. On y passe du temps, pour la suite et pour faire voir qu’on accepte que c’est une formation à profils diversifiés.
Ensuite ce qu’on fait c’est qu’on présente ce qu’on va voir dans la semaine : on dit qu’on va commencer à aborder la notion de travail et à quoi ça nous renvoie sur le plan subjectif. Et on voit notre approche subjective de la santé et enfin comment les deux notions s’articulent.
On voit ensuite que le travail n’est pas l’emploi mais c’est bien plus large. Puis le processus de travail, ce que ça implique dans le rapport à santé, aux salariés et dans le champ syndical.
Au démarrage, on leur demande de façon spontanée d’écrire les deux ou trois premiers mots qui leur viennent en tête quand ils entendent le mot travail. Ils le notent et ensuite on leur demande de faire la même chose avec le mot santé. Ils le notent également. Dans certains cas, on demande une réflexion par sous-groupe sur chaque mot. Ensuite, on note au tableau ce qui est sorti et on demande en collectif à quoi ça fait penser. En général, ça fait voir de façon assez concrète quel rapport ils peuvent avoir au travail et à la santé, car d’un groupe à l’autre ce n’est pas tout à fait le même rapport : certains vont avoir un rapport plus positif que d’autres sur le travail, pour diverses raisons ; mais ça permet aussi de voir que la grande majorité des mots d’un côté on les retrouve de l’autre ou ils peuvent basculer de l’autre côté. On développe une idée, discutable évidemment, que la question du travail et de la santé, si elles sont si proches ce n’est pas un hasard : dans l’histoire de ‘l’humanité, c’est par le travail que l’Homme a construit sa sécurité ; par le travail on sécurise son environnement.
Le travail vient construire la société, il organise la vie de la cité et devient un liant social.
Une fois qu’on a passé un certain temps là-dessus, parce qu’il peut y avoir de la résistance, des désaccords, et on discute, ce n’est pas un problème, on discute de la différence entre travail et emploi. Parce que c’est vrai qu’on a une vision plutôt positive de l’emploi de notre côté syndical alors que, même si ça change, il y a plutôt une vision négative qui ressort globalement, le côté labeur, même si ça évolue.
On défend l’idée que l’emploi n’est qu’une partie du travail et que c’est même l’enveloppe d’une partie du travail. Et on les fait réfléchir à partir d’un schéma simple. On dit si le travail n’est pas que l’emploi, on peut considérer qu’il y a une intersection : on retrouve l’emploi dans le travail mais avec une zone d’emploi hors travail, pour aborder la question des placardisés – et dans le syndicalisme ça vient assez vite.
Le travail ce n’est pas que l’emploi, donc quelle autre forme de travail on pourrait retrouver ? Ce qui vient, c’est un des exemples de ce qu’on a fait – mais avec chaque collectif les retours sont en partie différents : c’est le travail domestique, placé souvent dans l’enveloppe du travail mais en intersection avec l’emploi ; le jardinage, pareil ; le militantisme qui peut aussi être un emploi. On ne s’arrête pas sur une notion exhaustive mais ça sert à démontrer que le travail c’est tout ça. A partir de ça, on se met d’accord avec le collectif sur une notion qui va nous accompagner toute la semaine sur qu’est-ce que le travail : à partir des discussions, ce qui ressort le plus souvent, c’est que le travail c’est toute activité socialement utile, ou alors souvent aussi, une activité de transformation de l’homme et de son environnement – et là on se rend compte qu’on a un peu plus de marxistes dans la salle.
Après, on les fait réfléchir sur l’idée que la question du travail et de l’emploi, ce n’est pas une question morale d’une part, et que d’autre part certaines choses ne sont pas tranchées : du travail pour les uns ne l’est pas pour les autres, par exemple les dealers est-ce qu’ils travaillent ? Certains syndiqués disent, on ne peut pas dire que c’est du travail ; mais pourquoi celui qui vend du cannabis à Amsterdam travaille et pas celui qui deale à Châtelet alors qu’il fait 15 heures par semaine ? Et puis est-ce que c’est utile, ça se discute ? Comme le trader : est-ce qu’il a une activité utile ? Ça permet de discuter aussi la question de l’emploi comme quelque chose de mouvant et le fait que c’est le Capital qui décide de son enveloppe et qu’il va avoir tendance à marchandiser, par exemple on le voit avec les aides à domicile. Ça a pu exister comme du travail au black, comme de l’aide familiale et aujourd’hui c’est marchandisé.
Voilà la première étape. C’est une démarche de déconstruction. Et les débats peuvent être même assez vifs. Moins maintenant parce que ça fait des années qu’on en parle maintenant et on a pas mal avancé. Mais en 2013 ça a pu être des débats très violents. Un camarade a même vu des vieux militants piquer pas des crises de nerf mais presque, et même en fin de formation s’effondrer quand ils ont compris qu’ils s’étaient plantés sur pas mal de trucs pendant longtemps…
Après, on leur dit, tout n’est pas si simple non plus : on va voir les contradictions qu’on a à gérer, particulièrement à la Cgt lié à notre histoire et à notre culture. Je leur expose ça pour créer le débat et en général on a des discussions costaudes aussi. On dit que la RTT est portée par le syndicat, que ça se justifie car une partie de la population est trop mobilisée et une autre n’a pas d’emploi. Un rapport universitaire estime de 10 à 14 000 décès par an qui seraient imputables au chômage dans le pays. Or une rhétorique nocive serait de dire que le travail est nocif et que la liberté se construirait en dehors du travail et de l’entreprise, donc il serait vain de lutter au sein des entreprises et du travail car ça ne se passerait pas là. Deuxième problème, on peut laisser entendre que le lien de subordination n’aurait aucune conséquence sur nous, on serait redevenus citoyens sitôt passer les portes de l’entreprise.
Un autre problème mais qui, en quelque sorte est le même : nous n’avons jamais réellement réfléchi à un autre type de fonctionnement, à un autre travail y compris pour notre activité militante : on a tendance à reproduire ce qu’on connaît, ce que j’appelle l’organisation scientifique du travail (OST). Y compris au sein de la Cgt. Le parallèle qu’on fait pour engager la discussion c’est de dire « pour Taylor il y a ceux qui savent et ceux qui reçoivent le savoir », c’est-à-dire dans les entreprises les décideurs et les exécutants. Et à l’échelle du syndicat : les politiques, élus par le congrès, et les techniciens. Ca en général, ça fait réagir, on a une discussion assez sérieuse parce que tout le monde se reconnaît d’un côté ou de l’autre.
J’allais même un peu plus loin sur des mandats bien précis : je pense que c’était un des travers qu’on avait dans le CSE même si on commence à en sortir : on avait les politiques du côté CE et les techniciens du côté du CHSCT, c’était assez caricatural.
Ensuite, on passe sur la question de la santé. C’est la deuxième partie. On les questionne pour savoir s’ils connaissent la définition de la santé utilisée par la Cgt. Suivant les collectifs militants, s’ils s’intéressent à la question depuis un certain temps, on va avoir des réponses différentes mais c’est quand même assez connu ; en fait aujourd’hui encore, la définition officielle utilisée par la Cgt c’est celle de l’OMS1. Et on les fait réfléchir là-dessus : avantages et problème de cette définition. En général, on arrive là-dessus après la pause en fin de première journée. On arrive toujours à peu près à la même position : cette définition a l’avantage d’être progressiste, ambitieuse, et d’être une référence juridique. Un juge s’il a besoin de se positionner sur la définition de la santé, c’est là-dessus qu’il s’arrête.
Son inconvénient est qu’elle est binaire : on est en bonne santé ou pas, passivement, sans dynamique ni construction, et ça pose la question de l’infirmité. On leur dit qu’en fait, pour réfléchir et penser la santé dans une démarche dynamique, la définition qu’on développe le plus aujourd’hui est celle de Canguilhem, « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence, et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi », en disant qu’on va y réfléchir et la décortiquer. Parce que cette définition peut bousculer.
On l’écrit au tableau et on la décortique, et on regarde qu’est-ce que ça peut vouloir dire pour nous dans notre travail militant : être actif, être cohérent. Ce qui pose la question des conflits éthiques, du sale boulot, je pense à la vente forcée dans le commerce, etc. Porter des choses à l’existence, c’est une valeur créative, ce qui pose le rapport au prescripteur, or le management va à l’encontre de cette approche, ce qui me porte dans le boulot ce n’est pas les statistiques. Et créer entre les choses des liens qui n’existeraient pas sans moi, c’est le lien au collectif et le rapport au monde et sa singularité.
Il en ressort que a santé c’est d’être capable de créer, d’avoir le sentiment d’être utile de bien faire son travail, tisser des liens, garder son pouvoir d’agir, pouvoir intervenir, avoir des marges de manœuvre. Et on retombe sur la notion de travail qu’on a développée avant. Et dans la plupart des cas, c’est le travail qui est malade et par effet d’entraînement atteint la santé des travailleurs.
Ensuite, on leur passe une vidéo de la recherche-action Renault : le passage avec Philippe Davezies. Mais avant, je leur expose le contexte, cela leur parle assez en général, notamment aux cheminots. Je leur dis « Renault est une entreprise nationalisée en 45, la Cgt avait des moyens d’intervention pour les travailleurs, puis changement de statut en 1990, passage en SA, mise en bourse en 1994, et la priorité de l’entreprise est de faire adhérer son personnel à la culture du profit, mais il faut modifier le rapport de force car l’hégémonie de la Cgt pose problème. Schweitzer avait même écrit dans ses mémoires qu’il fallait se débarrasser de la Cgt et créer une alliance entre toutes les OS. Pour enlever le pouvoir de la Cgt une charte est signée et en quelques années, la Cgt perd les instances. En même temps, il y a une évolution sociologique de la population salariée. Les syndicats Renault ont une implantation historique chez les ouvriers et n’arrivent pas à se transformer, sont dans l’incapacité de s’adresser aux cadres. Difficulté à débattre avec les salariés. Une pratique qui consiste à essayer de convaincre les salariés, mais pour eux se pose la question de l’efficacité du syndicalisme et si celui-ci ne peut rien faire pour les salariés, aucune raison de le rejoindre. Impuissance de l’organisation à poser ces problèmes-là. C’est le constat qu’a réussi à faire la Cgt Renault au début des années 2000.
Comment reprendre la main ? La question se pose à ce moment-là. D’où la mobilisation de chercheurs pour la recherche-action. Et là je leur passe une partie du DVD où Davezies intervient sur le pouvoir d’agir. C’est une vidéo de 7 ou 8 minutes. Une fois qu’elle est passée, on leur demande « quel est l’élément principal que vous retenez ? ». A partir de là, on modélise les éléments du travail qu’ils ont retenus : Davezies parle par exemple du novice, qui pose la question de l’expérience, du bagage, à qui le prescripteur va imposer la prescription et à partir de là, le prescripteur aura un attendu. Mais en fait, ça ne se passe jamais comme ça, le travailleur va se confronter au réel, se retrouver confronté à l’inattendu. De là, il va en faire une nouvelle expérience, individuelle et collective, pour en faire une nouvelle expérience. Mais il y a l’attendu du prescripteur et l’attendu du travailleur. Et on discute à partir de là, il y a des choses sur lesquelles il faut qu’on revienne. C’est leur faire mettre le doigt sur l’écart entre le prescrit et le réel.
Et sur la notion de pouvoir d’agir. On la symbolise comme l’écart entre le travailleur et la nouvelle expérience du travailleur.
Ce qu’on explique, c’est que c’est quand ça fonctionne à peu près comme ça qu’on a des salariés qui sont en capacité d’atteindre l’attendu du travailleur ou du collectif de travail, et celui du prescripteur. On était en capacité d’atteindre la production demandée et de faire un boulot dans lequel on pouvait se reconnaître, et on prend des exemples précis qui émanent des expériences des militants. Ce qu’on dit, c’est que quand ça fonctionne à peu près comme ça, globalement on arrive à construire sa santé dans le travail.
Dans un second temps, on discute des nouvelles formes d’organisation qui viennent altérer ce processus et la santé. En général, il y a la question du taylorisme qui vient très vite. Le prescripteur va donner une prescription, va avoir un attendu et c’est une négation de la réalité. Globalement, même un travail à la chaîne, plusieurs travaux ont montré que les salariés ne faisaient pas vraiment ce qu’on leur demandait et ils arrivaient à s’en démerder.
Les stagiaires, en général, nous parlent des différentes organisations et on regarde comment ça impacte : il y a la question du Lean, qui écrase le pouvoir d’agir. Après il y a les organisations du travail participant : on laisse le travailleur faire, on comprend qu’il est intelligent, mais il n’est pas question de discuter des attendus, des finalités du travail, donc en fait on lui tord le bras.
Globalement, le bilan qu’on en tire, c’est que c’est cette organisation du travail-là qui est particulièrement pathogène aujourd’hui : le burn-out ce sont des salariés qui s’investissent dans le travail mais en fait le résultat ne leur convient jamais car on leur tord le bras. Les travailleurs ne s’impliquent jamais pour les attendus de la prescription mais pour ses propres mobiles.
Et puis, on a des prescripteurs aujourd’hui qui sont dans l’incapacité de prescrire. Exemple des lignes de réglages en peinture dans l’automobile : la seule qu’il pouvait prescrire c’était la finalité du travail. Et on peut se rendre compte en fait qu’on a une domination dans le travail, c’est ce qu’on discute, qui pendant très longtemps s’est joué autour de la prescription, et aujourd’hui elle se déplace sur la finalité.
Après, on a aussi des discussions, des questions qui viennent interférer en fonction du moment. Par exemple, à un moment il a fallu qu’on réfléchisse – parce que c’est venu dans les formations et il a fallu élaborer avec les stagiaires – à la notion de QVT. Qu’est-ce qu’on en fait ? On dit que la qualité du travail qui fait sens, est défendue par le collectif ; elle est en écart avec la qualité du travail du prescripteur, qui est celle du marché (un produit qui se vend). Et quand on aborde le thème de la QVT, c’est bien ça, la qualité pour le marché. Cette notion ne permet pas d’aborder la controverse et les conflits inhérents au travail. L’idée, c’est qu’autour de la QVT il y a une démarche patronale de tentative de retournement de la santé au travail. Le patronat a une capacité à retourner les sujets dont le mouvement ouvrier s’empare. Exemple : la mixité, ce n’est pas l’égalité professionnelle. Le métier de contrôleur, la direction a choisi de le féminiser, au bout de quelques années on a 50% de femmes et des inégalités de salaire considérables, alors même que ce sont des salariées au statut.
Ensuite, on pose la question de la réalité de notre activité militante, syndicale. En tant que militant, on est vus en quelque sorte comme des récolteurs de plaintes, et il faut absolument qu’on arrive à sortir de ça. Ce n’est pas évident, on peut même avoir tendance à l’alimenter. C’est quelque chose qu’on doit prendre très au sérieux, la plainte on la qualifie ici. Quand on est en tournée syndicale, qu’on va voir les travailleurs, ils nous disent « voilà ce qu’on me demande de faire, ce qu’on attend de moi et à quoi je me confronte » et la plainte se retrouve du côté de ce qui est demandé de faire. Toute la question, c’est ce qu’on en fait : on les fait élaborer, travailler dessus. Car la solution de facilité, et on tombe tous dans cde travers là à un moment ou à un autre, c’est que quand les travailleurs nous renvoient cette plainte, on dit « on connaît la situation, voilà ce qu’il faut faire, on a des solutions, des revendications », et on donne des solutions mais en faisant cela on alimente un syndicalisme délégataire. Parce que le salarié, même si on règle leur cas, ils peuvent considérer qu’on fait du bon boulot, voter pour nous voire même se syndiquer, mais s’il y a besoin d’aller plus loin, ce n’est pas leur affaire, ils n’ont pas été impliqués dans le processus de construction.
Donc l’idée qu’on défend nous, mais on les fait vraiment réfléchir dessus, et en général ils élaborent des outils très concrets, c’est à partir de là, d’essayer de tirer un fil avec le salarié, pour regarder ce qu’il en attend. Concrètement, tirer ce fil-là, lui demander comment il se démerde dans le travail réel, et au final ce qu’il en attend de son travail, ça lui permet de mettre le doigt sur ce qu’il fait, pourquoi, et de ne pas avoir des solutions toutes faites, et dans les faits de construire la revendication du côté de ce que les salariés souhaitent.
Ensuite, on les fait réfléchir en groupe sur deux questions, qui nous font revenir depuis le départ : pour transformer le travail, comment on travaille le rapport aux travailleurs ? et qu’’est-ce que ça implique dans notre fonctionnement syndical en interne, dans l’organisation ? Ce qu’il en ressort, c’est que pour travailler ces deux questions, on leur demande de prendre des cas concrets vécu dans leurs parcours militants, et on leur demande de ne surtout pas laisser de côté la deuxième question qu’ils ont tendance à éluder. On leur fait remettre en cause la question de l’organisation du travail hégémonique dans ce pays, et plus globalement. C’est vraiment ça qu’ils requestionnent sur le fond.
En théorie, et c’est dans la grande majorité des cas le cas, ils requestionnent notre fonctionnement interne. Avec des exemples précis : par exemple, on a tous une place dans l’organisation. Je donne un exemple des cheminots : on a une culture où on sait, même si ça change parce qu’on a pris quelques claques ces derniers temps. Moi j’ai été secrétaire de syndicat et un bon secrétaire c’est quelqu’un qui fait un rapport introductif en général d’une heure, et en fait on balaie les situations internationales, nationales, locales, on fait l’analyse et on donne les solutions. Et ça a des conséquences très concrètes dans l’activité quotidienne : on peut avoir des camarades, des militants qui sont d’accord mais qui n’ont pas participé à l’élaboration de la revendication, et quand il faut aller au charbon il n’y a plus personne. Et la crise du syndicalisme c’est aussi ça, on a besoin d’impliquer le corps militant dessus. Et en général, on arrive là-dessus à la fin de la formation syndicale. Mais ça peut être violent, parce qu’on requestionne parfois des façons de militer depuis 20 ou 30 ans.
Parfois, on a quelques questions sur la question de l’engagement dans le travail. Des militants nous disent en effet « des fois c’est la stratégie patronale, l’engagement ». Donc on doit faire la distinction entre l’engagement du côté patronal et ce qu’on appelle l’implication. L’engagement, c’est adhérer à la vision de la direction, donc s’impliquer pour la finalité du travail posée par l’employeur, or on sait que les travailleurs ne s’impliquent tout à fait pour ça.
Dernière chose, on s’arrête aussi sur la tentation du syndicalisme autoritaire. La solution de facilité également, ça peut être pour certains militants ou syndicats qui ne fonctionnent pas très bien ou une culture particulière… Par exemple, un camarade m’a dit, « c’est bien ton histoire mais il manque un truc dans ton schéma : il y aurait la finalité, ce que veut le prescripteur, ce qu’attend le salarié, mais nous ce qu’on veut c’est où ? » Je lui dis « prends un stylo rouge et mets-le », donc il met sur le schéma, à part, les attendus de la Cgt A’’. Et son idée c’est de dire, on doit peser sur l’attendu du travailleur. C’est une sorte de syndicalisme autoritaire, il n’y pas d’autres mots je crois. Je lui ai dit, ça me pose question, car dans ce cadre-là il n’y aucune raison qu’ils nous rejoignent, ils se font tordre le bras par le prescripteur et tu proposes de leur tordre le bras dans l’autre sens.
A la fin de la formation, c’est important de le dire, car c’est une démarche de formation-action, c’était la tournure que ça a pris ces derniers temps, ce sont des stagiaires qu’on suit ou qu’on tente de revoir, on leur faire faire une enquête syndicale pour essayer de leur faire mettre le doigt sur quelque chose et requestionner rapidement leur pratique syndicale pour éviter que les vieilles habitudes de revenir. C’est une enquête qu’on a déjà réalisée par le passé, et on leur propose de le faire.
Là où ça marche le mieux, c’est quand on a un collectif homogène. Un collectif militant, par exemple dans La Poste dans l’Hérault. Parce qu’on a d’entrée un collectif impliqué dans le processus. Alors que le problème de la formation confédérale, c’est que c’est très riche, mais on a des camarades qui sont éclatés dans le territoire et à leur retour dans leur collectif, ce n’est pas simple pour eux.
DEBAT
Thomas : il faut faire une autre séance sur l’enquête demandée ?
Tony : on s’est appuyé sur un travail mené par Yves Bongiorno porté chez les aides à domicile. [Lecture de la consigne]. L’intention c’est d’avoir plus d’humilité dans sa pratique : on a des travers militants sur la mise en cause des travailleurs qui ne font pas grève, sans questionner leur situation (par exemple, qu’il s’agit d’une mère célibataire, etc.). On leur demande de nous faire un retour concret de leur interview, de ce qu’ils en tirent comme constat, ce qu’ils ont discuté dans leur organisation, s’ils voient des pistes revendicatives qui se dessinent et qui sont cohérentes ou pas avec ce qu’on développe. Mais souvent, on entend « si j’avais posé ces questions-là avant, je n’aurais pas forcément eu de réponse des salariés ».
Gérard Grosse : tu as évoqué au début de ton exposé, la notion de résistance qui se manifestait de la part des stagiaires. Peux-tu être plus explicite ?
Tony : En fait pour une grande partie des syndicalistes, parce qu’on s’est construit comme ça, on s’est concentré sur la notion d’emploi et tout ce qui en sort n’est pas du travail. Donc on essaie de déconstruire ça. Et une fois qu’ils ont compris que l’emploi est une enveloppe du travail et est mouvant ça requestionne beaucoup de choses.
Bernard : Je reviens sur la difficulté que tu évoquais du militant Cgt qui dit « où sont les revendications de la Cgt », c’est quoi le rôle du syndicaliste ?
Tony : c’est le même processus, on n’arrive pas avec des valises vides, on a des repères revendicatifs, mais notre rôle c’est de le discuter dans l’ensemble. Ce sont des choses qui se jouent parfois dans les détails : par exemple, sur le travail réel, on a des copains qui vont dire de suite « il ne faut pas faire comme ça ». Nous, ce qu’on réclame c’est de ne pas travailler comme ça. C’est de dire « on pense qu’on peut faire les choses ainsi, qu’est-ce que tu en penses ? ». Ne pas avoir une démarche autoritaire.
Bernard : mais est-ce que ça n’empêche pas d’être formé aux mécanismes ?
Tony : pas sûr, une fois que le militant comprend qu’il ne sait pas tout, on règle beaucoup de choses, on entre dans une démarche de co-construction.
Bernard : mais on a tout un tas de situations pratiques auxquelles les militants syndicaux sont confrontés, il n’y a pas de reposes a priori, mais pour autant il y a des apports à faire, sur les mécanismes.
Julien : Ce que j’entends, c’est que vous avez tout de même un apport doctrinal. Influencé par les travaux de Philippe Davezies. Je trouve cela très bien, mais ça peut poser quelques difficultés dans l’articulation entre la doctrine et les situations réelles qui ont toujours une certaine singularité. Il me semble que dans votre affaire, l’important c’est de faire le suivi des stagiaires pour voir ce que ça donne.
Tony : Oui, on défend un syndicalisme de métier. Sur le suivi, dans le temps ça tient. Je pense à la FAPT dans l’Hérault, ils ne font rien sans questionner les travailleurs. Autre exemple sur Lyon, où une partie de la direction syndicale et des salariés étaient impliquée ; la direction syndicale a changé avec une direction en désaccord et ça a clashé. Si on veut que ça fonctionne, c’est un processus de formation continue des militants et d’implication des militants et de la direction.
Nicolas : je voudrais dire quelque chose qui manque dans cette affaire. Je n’ai pas vu les schémas. Dans le propos, j’entends aussi des choses que j’ai déjà entendues, chez Davezies ou chez Clot. Mais est-ce qu’il ne manque pas… On a affaire à des militants syndicaux, à une OS qui dit « on va refaire du travail une dimension revendicative », mais dans la distinction entre travail et emploi, il n’y a plus assez de temps passé sur ce que ça veut dire « ne plus faire de l’emploi un enjeu revendicatif ». Est-ce que c’est moi qui n’ai pas bien entendu ? Un exemple très concret : on travaille avec Amandine sur une expertise sur un port, où il y aune Cgt très puissante c’est un autre monde du travail ; ce qui est très difficile dans la conversion dont tu parles en termes de passer de « tout pour l’emploi » à « tout pour le travail », c’est comment on les fait passer ? Car leur faire lâcher le terrain de l’emploi, ça oblige aussi de revenir sur les terrains industriels, d’organisation, etc. Et ce sont des enjeux qui vont jouer aussi sur le collectif de travail.
Tony : l’idée n’est pas d’abandonner l’emploi. C’est de faire comprendre ce qui se joue dans le travail, il s’y joue les mêmes enjeux que dans l’emploi. En fait c’est le même processus. Je ne vois pas en quoi cette démarche serait sur une posture de ne plus revendiquer d’emplois.
Bernard : Moi j’ai compris le contraire. Que ça nourrissait des exigences y compris en termes d’emplois.
Tony : les premières revendications qui ont été obtenues, c’est sur l’emploi – évidement il y a eu des choses sur l’organisation. Des bagarres sur l’emploi il y en a très régulièrement et ce sont des revendications qui tombent de façon surplombante, j’ai envie de dire, mais ce sont des revendications à partir du travail. Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire Nicolas.
Nico : Je n’ai pas été très clair. Je pense que quand on joue les choses sur le terrain du travail, il faut un peu plus qu’un temps abandonner l’emploi. Je pense que c’est parfois contradictoire, et si on prend au sérieux cette question d’abandonner le paradigme de l’emploi pour aller sur le paradigme du travail, il faut parfois prendre du temps. Même le travail de nuit, les heures supplémentaires, les conditions d’emploi ou salariales et les conditions de travail, cette contradiction finit par se poser. Mais si on lâche la question de l’emploi, on la lâche pour de bon. Donc ce qui manque, c’est comment ça se pose dans le rapport entre militant syndical et le salarié, et qu’est-ce qu’on fait de ça ?
Tony : je n’ai jamais été confronté à cette question là concrètement. J’ai envie de dire, que c’est de l’élaboration collective, même si ça fait langue de bois.
Thomas : sur la question de la santé, on a vu l’importance du travail émerger, qui vient nourrir la demande d’emplois. Mais la question que je voulais poser, c’est cette histoire d’attendus des travailleurs : pendant des années, les syndicats ont demandé des emplois et des salaires. Sans aucun effet. Et puis dans certaines luttes, avec des alliances avec les usagers, ça débouchait sur des rapports de force plus dynamiques. Donc cette question des attendus, comment ne pas la poser enfermée dans le rapport salarial mais aussi en lien avec les aspects extérieurs, l’écologie, etc. ? Parce que je vois dans ce que tu présentes que le syndicat ne vienne pas peser sur les attendus du travailleur mais il faut bien que ça se discute !
Tony : Pour Nicolas : la question se pose pour les transports routiers et aériens, et ça frotte. Avec les militants mais aussi avec l’organisation. A question du nucléaire aussi, et ça pose la question de l’emploi et du modèle de société. Mais les salariés ne sont pas enfermés dans l’entreprise mais ils sont dans la société donc ça se discute. Après, d’un point de vue structurel, il n’y a pas de lieu de confrontations, de positionnements, d’idées entre le syndicalisme, la société civile, le milieu associatif. Dans le rail, tu as les comités de ligne. Mais aussi des lieux où il y a des élus, je pense à une association bien précise dont je ne retrouve plus le nom. Les divers représentants y discutent ensemble.
Bernard : mais ce n’est pas simple non plus. Les contrôleurs des trains ont des éléments assez précis sur les besoins des usagers, donc ça peut aussi passer par des réflexions internes. Dans la santé, aussi, ils doivent avoir une écoute sur ce que disent les patients. Après il faut peut-être que ça soit plus structuré.
Tony : Nico, ma réponse te va ?
Nicolas : Non parce que je pense que le cas posé par Thomas, c’est le cas où c’est super. Mais un exemple d’une expertise récente, où ne plus revendiquer l’emploi mais le travail, c’est prioriser le temps dessus. Qu’est-ce qui se passe si on fait ça ? A l’échelle de l’employeur, sur quoi on discute ? Si le but est de réfléchir à comment on organise l’atelier, cela amène aussi sur le rôle de management. Donc il faut aller au bout de la réflexion. Et parler des cas où c’est contradictoire.
Julien : Je pense qu’il faudrait partir de cas concrets pour réfléchir à ce que tu dis, Nicolas. Si on avait des expériences sur lesquelles s’appuyer ça permettrait d’avancer plus loin dans la réflexion.
Tony : Franchement, je suis déçu, Nicolas (rires), je pensais que tu allais m’attaquer sur autre chose.
Yves : Je voudrais revenir sur ton intervention sur les attendus de l’employeur. Car les attendus des travailleurs, tu l’as posé comme une donnée qui allait de soi. Mais comment ça s’élabore ? Moi je dirais que c’est le point de vue des travailleurs. Et comment ça se décline ? Parce que les attendus des travailleurs ce n’est pas simplement organiser le poste du travailleur mais il faut aller jusqu’à la finalité du travail, parce que le travailleur n’est pas un robot. Donc, comment le syndicat construit les attendus du travailleur, car c’est une construction, le point de vue du travail. Et quand on interroge les travailleurs, ils ont des attendus différents. Donc comment on tient compte de cette diversité du ressenti, des demandes, des points de vue, etc. Je pense que la réponse est en partie là pour moi.
Tony : je ne sais pas si je vais pouvoir répondre à pourquoi mais à comment. Dans cette modélisation on ne différencie pas le sens et la qualité du point de vue du travailleur. Le rôle du syndicaliste c’est d’essayer d’en discuter avec les travailleurs, de faire une élaboration collective et de travailler les revendications.
Yves : dans la pratique, c’est compliqué, il faut du temps.
Tony : bien sûr, c’est une carrière ! Mais ça ne s’élabore pas en plus de temps que pour l’élaboration syndicale sur l’emploi et les salaires. Au quotidien, au contact des travailleurs, qu’est-ce qu’on discute avec eux ? Est-ce qu’on leur apporte des solutions ? Ou est-ce qu’on tente d’élaborer avec eux à partir de leur point de vue ? Le syndicaliste sait aussi des choses, on a l’avantage de réfléchir et d’élaborer collectivement, on sait aussi des choses, mais c’est bien d’avoir d’une démarche avec plus d’humilité, c’est le terme. Mais on sait des choses, mais il faut savoir fermer sa gueule quand on est syndicaliste.
Thomas : J’aimerais bien qu’on conclue, par rapport à ce que disait Julien sur l’enjeu de multiplier les enquêtes ou les reportages, je pense qu’on a besoin de matériaux. Ce que tu as fait ce soir est extrêmement intéressant mais je pense qu’on a besoin de multiplier les cas concrets de mise en œuvre de cette démarche et d’avoir des histoires. Par exemple la recherche-action sur les aides à domicile de Toulon, j’avais demandé à Isabelle Bourboulon de présenter l’expérience. Donc ma question c’est : est-ce que vous pouvez fournir une liste d’études de cas potentiels où on peut appeler les gens, demander à des étudiants de faire des entretiens et raconter ces histoires ? Est-ce qu’on peut constituer une base de données qu’on peut documenter ?
Tony : Oui, mais il est aussi intéressant d’analyser les cas où ça n’a pas fonctionné, ou qu’un temps.